Par Nina Perez, publié le 6 octobre 2022 Voir l’article source sur DécadréE
Les films Disney ont bercé l’enfance de millions de personnes et ont participé à la construction de notre identité. Néanmoins, les studios n’ont pas toujours brillé par leur diversité et leur inclusivité, notamment dans la représentation des antagonistes, souvent caractérisé-e-x-s par des biais sexistes, racistes et classistes. Analyse d’une discrimination.
Les productions culturelles façonnent notre vision du monde et influencent notre système de valeurs. Et ce, d’autant plus quand elles sont d’abord destinées aux enfants, à la manière des films des studios Disney. Les enfants admirent leurs héro-ïne-x-s préféré-e-x-s et veulent leur ressembler, mais iels apprennent en même temps à craindre et détester les méchant-e-x-s. Ces dernier-ère-x-s sont construit-e-x-s en opposition aux héro-ïne-x-s et incarnent une forme de déviance, qu’il faut à tout prix éviter au risque d’être associé-e-x à un être ridicule et diabolique. Et l’un des principaux outils développés par Disney pour décrédibiliser les antagonistes est l’ambiguïté sur le genre. Les méchants apparaissent efféminés et les méchantes sont des femmes fortes dont la féminité est niée.
Des hommes efféminés et faibles
De nombreux méchants classiques de l’univers Disney sont queer-coded, c’est-à-dire qu’ils revêtent des caractéristiques stéréotypiquement associées aux individus queer. Beaucoup adoptent des traits et des comportements connotés : ils sont maniérés, parlent avec une voix aigüe, bougent de façon dite féminine et vont parfois jusqu’à performer un numéro de danse, comme Scar dans Le Roi Lion, un des champions du queer-coding de Disney. Cette féminisation passe également par le physique des personnages, comme en témoignent des vêtements souvent plus colorés et travaillés, des yeux parfois maquillés, des moustaches fines et soignées, et des doigts fins et crochus (qui vont même jusqu’à la présence de longues griffes aux pattes de Scar et de Shere Khan, alors qu’elles sont totalement absentes chez Mufasa et Bagheera). Enfin, cette féminisation s’accompagne d’une dévirilisation caractérisée par des personnages soit très maigres et squelettiques, soit obèses, en opposition au héros, toujours musclé et viril. Les personnages de méchants incarnant le plus clairement cette tendance à la féminisation sont Scar, Jafar dans Aladdin, Prince Jean dans Robin des Bois, Ratcliff dans Pocohantas ou encore Grand Coquin dans Pinocchio. Tous cumulent plusieurs de ces traits et ont été pour la plupart perçus comme des personnages gays. Cette caractérisation des méchants est problématique car elle implique que les hommes possédant des traits et des comportements connotés comme féminins dévient de la norme et ne peuvent être que cruels et ridicules.
Les méchantes Disney n’échappent évidemment pas à cette discrimination. D’abord, elles sont présentées comme non désirables et ne sont jamais attirantes pour les hommes. Elles n’ont pas de compagnon dans leur vie et représentent le cliché de la vieille fille à chat comme en témoignent les personnages de la Belle-mère de Cendrillon et son chat, Madame Medusa de Bernard et Bianca et son crocodile, Maléfique et son corbeau ou encore Ursula et ses murènes. Cette répulsion qu’elles inspirent s’explique par divers traits dénotant surtout une absence de féminité. D’abord au niveau physique, les attributs les plus clairement connotés féminins sont déformés, cachés, voire absents chez les méchantes. Par exemple, Madame Medusa et Yzma de Kuzko ont une poitrine « déformée » et les belles-sœurs de Cendrillon ont une poitrine totalement plate, qui s’oppose à celle de la princesse. Les visages et les corps s’éloignent par ailleurs de l’idéal de beauté féminin en étant soit squelettiques, soit obèses, et en présentant des traits masculins. Le jeu sur le genre va encore plus loin chez Ursula, à nouveau fortement queer-coded, en raison de ses traits féminins exagérés couplés à une voix grave et une partie inférieure du corps composée de tentacules, jouant sur l’ambigüité sexuelle. La méchante de La Petite sirène, exubérante et fortement sexualisée, rappelle un personnage de drag queen et aurait d’ailleurs été inspirée par la célèbre drag queen Divine, performeuse américaine de la deuxième moitié du XXème siècle.
Pour finir, la plupart des méchantes sont vieilles et laides, et sont ridiculisées lorsqu’elles essaient de plaire comme Medusa et Ursula qui se remaquillent. En plus de leur apparence, c’est également leur comportement qui est connoté masculin, par exemple quand elles fument, conduisent de manière imprudente ou tirent à la carabine. À côté des méchantes déféminisées et autoritaires que sont par exemple les belles-mères de Cendrillon et de Blanche-Neige, ou Maléfique, on retrouve aussi des méchantes « trop » féminines, rentrant dans la catégorie des femmes exubérantes, hypersexualisées et ridicules. Font partie de cette catégorie des personnages comme Ursula, Medusa et Cruella. Cette dévalorisation de la beauté avec l’âge relève d’un double standard dans la mesure où des hommes âgés et attirants existent dans l’univers Disney, comme le roi Triton. De même que la féminisation des méchants était discriminante, la déféminisation des méchantes et leurs destins tragiques et grotesques renforcent de nombreux stéréotypes. Une femme seule et puissante ne semble pouvoir s’épanouir et devient toujours cruelle, et le fait de ne pas rentrer dans les normes de beauté caractérisées par la jeunesse, la minceur et la féminité traditionnelle est systématiquement couplé à la méchanceté. Par ailleurs, les motivations des méchantes apparaissent très frivoles et relèvent principalement de la jalousie (souvent face à l’héroïne jeune et belle) ou de la pure méchanceté, là où les méchants recherchent principalement la richesse et le pouvoir, comme le souligne une étude de Debra Bradley en 1995.
Des modèles problématiques…
Ces modèles dépassés de méchant-e-x-s véhiculent une image conservatrice des rôles genrés et tendent à décrédibiliser et condamner les personnes qui s’éloignent de la norme établie. La discrimination dépasse d’ailleurs le seul biais sexiste, car lorsque les méchant-e-x-s rentrent dans les stéréotypes de genre, ils sont stigmatisés par des biais racistes, par exemple des traits ou des accents très prononcés, ou classistes, avec cette fois l’exemple de Gaston dans La Belle et la bête, qui est certes traditionnellement masculin mais qui est présenté comme un imbécile sans éducation et est méprisé par Belle. Les traits queer, étrangers et de laideur étant quasi-exclusivement associés à des personnages cruels, méprisables et ridicules, cela engendre un biais regrettable dans la représentation. Les spectateurices apprennent à rejeter ces traits et à valoriser les héro-ïne-x-s incarnant la norme de jeunesse, de beauté physique, toujours hétérosexuelle, et principalement blanche ou dont les caractéristiques racisées comme l’accent ou les traits physiquement stéréotypés sont adoucis par rapport aux antagonistes (voir Aladdin et les autres arabes, le couple de La Princesse et la grenouille et le docteur Facilier, ou encore Mulan et les Huns).
..mais qui évoluent ?
Les discriminations assez claires que nous avons mises en avant jusqu’à présent sont certes problématiques mais plutôt datées. Les méchant-e-x-s évoqué-e-x-s sont en effet principalement issu-e-x-s de films de la deuxième moitié du XXème siècle. Disney a depuis intégré des principes de diversité et ses méchant-e-x-s sont moins stéréotypé-e-x-s qu’auparavant. Il n’est pas rare qu’iels ne se dévoilent qu’au cours du film et qu’on ne puisse donc plus le distinguer du reste des personnages. Le mal n’est plus incarné socialement et il peut se matérialiser chez n’importe qui. D’autres techniques sont utilisées comme des effets de lumière ou la fréquence de scènes de colère ou de rires sadiques, pour caractériser les antagonistes. Ce souci d’éviter la discrimination et d’être plus inclusif a valu à Disney de nombreuses critiques qui reprochaient notamment à la franchise de diversifier à outrance ses productions. Néanmoins, la plupart de ces critiques révèlent surtout des biais racistes, comme en témoigne la polémique récente face au casting d’Halle Bailey, une jeune femme afro-américaine, pour incarner la petite sirène dans le remake prévu en 2023 (voir la fin de l’article). Ces différentes polémiques nous montrent que de nombreux progrès restent à faire en matière de représentation et de diversité dans le cinéma de grande distribution.
Pour aller plus loin
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